Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/61

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L'employé fit une grimace de joie en répondant :

- Tiens ! si vous avez fait des folies, ça coûte toujours cher.

Mais l'autre soupira avec mélancolie.

- Non, Monsieur, je n'en ai pas fait ; j'ai été desservi par les événements, voilà tout.

Patissot, qui flairait une bonne histoire, continua :

- Nous ne pouvons pourtant pas vivre comme les curés ; ça n'est pas dans la nature.

Alors le bonhomme leva les yeux au ciel lamentablement.

- C'est vrai, Monsieur ; mais, si les prêtres étaient des hommes comme les autre, mes malheurs ne seraient pas arrivés. Je suis ennemi du célibat ecclésiastique, moi, Monsieur, et j'ai mes raisons pour ça.

Patissot, vivement intéressé, insista :

- Serait-il indiscret de vous demander ?...

- Mon Dieu ! non. Voici mon histoire : je suis normand, Monsieur. Mon père était meunier à Darnétal, près de Rouen ; et, quand il est mort, nous sommes restés, tout enfants, mon frère et moi, à la charge de notre oncle, un bon gros curé cauchois. Il nous éleva, Monsieur, fit notre éducation, puis nous envoya tous les deux à Paris chercher une situation convenable.

Mon frère avait vingt et un ans, et moi j'en prenais vingt-deux. Nous nous étions installés par économie dans le même logement, et nous y vivions tranquilles, lorsque advint l'aventure que je vais vous raconter.

Un soir, comme je rentrais chez moi, je fis la rencontre, sur le trottoir, d'une jeune dame qui me plut beaucoup. Elle répondait à mes goûts : un peu forte, Monsieur, et l'air bon enfant. Je n'osai pas lui parler, bien entendu, mais je lui adressai un regard significatif.