Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/85

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bas dans un coin, venus pour être au milieu de femmes. Quelques familles étaient entrées par curiosité. Mais au premier rang un nègre en coutil jaune, un nègre frisé, magnifique, regardait obstinément le bureau en riant de l'une à l'autre oreille, d'un rire muet, contenu, qui faisait étinceler ses dents blanches dans sa face noire. Il riait sans un mouvement du corps, comme un homme ravi, transporté. Pourquoi était-il là ? Mystère. Avait-il cru entrer au spectacle ? Ou bien se disait-il dans sa boule crépue d'Africain : "Vrai, vrai, ils sont trop drôles, ces farceurs-là ; ce n'est pas sous l'équateur qu'on en trouverait de pareils."

La citoyenne Zoé Lamour ouvrit la séance par un petit discours.

Elle rappela la servitude de la femme depuis les origines du monde ; son rôle obscur, toujours héroïque, son dévouement constant à toutes les grandes idées. Elle la compara au peuple d'autrefois, au peuple des rois et de l'aristocratie, l'appelant : "l'éternelle martyre" pour qui tout homme est un maître ; et, dans un grand mouvement lyrique, elle s'écria : "Le peuple a eu son 89, - ayons le nôtre ; l'homme opprimé a fait sa Révolution ; le captif a brisé sa chaîne ; l'esclave indigné s'est révolté. Femmes, imitons nos despotes. Révoltons-nous ; brisons l'antique chaîne du mariage et de la servitude ; marchons à la conquête de nos droits ; faisons aussi notre révolution."

Elle s'assit au milieu d'un tonnerre d'applaudissements ; et le nègre, délirant de joie, se tapait le front contre ses genoux en poussant des cris aigus.

La citoyenne nihiliste russe Éva Schourine se leva, et, d'une voix perçante et féroce :

"Je suis Russe, dit-elle. J'ai levé l'étendard de la révolte ; cette main a frappé les oppresseurs de ma