Page:Maupassant - Balzac d’après ses lettres, paru dans La Nation, 22 novembre 1876.djvu/9

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Enfin son vœu le plus ardent fut exaucé. Il aima et fut aimé. Alors ce furent des épanchements sans fin d’adolescent à son premier amour ; des débordements de joie infinie ; des délicatesses de langage extraordinaires ; des quintessences et des puérilités de sentiment. Lorsqu’elle est loin, il hésite à manger les fruits qu’il aime parce qu’il ne veut point goûter un plaisir qu’elle ne partage pas. Lui qui se plaignait si fort de perdre tant de temps aux lettres que réclamait sa mère, passe des nuits entières à écrire à celle qu’il adore, il ne travaille plus et court à la poste à tout moment pour chercher les réponses venues de Russie. Puis, lorsqu’il ne les trouve pas, il a des accès de découragement, presque de folie. Il reste tantôt immobile ; tantôt il s’agite sans but, il ne sait que faire, s’irrite et s’exaspère. « Le mouvement le fatigue et le repos l’accable. »

Il lui écrit, dans cet éternel étonnement des amoureux : « Je ne suis pas encore habitué à vous connaître après des années. » Il se plonge dans le souvenir des jours heureux qu’il a écoulés près d’elle. Il ne sait comment exprimer ce qu’il ressent lorsque lui revient la pensée de quelque bonheur lointain. Il s’écrie alors : « Il y a de ces choses du passé qui me font l’effet d’une fleur gigantesque, que vous dirai-je ? d’un magnolia qui marche, d’un de ces rêves du jeune âge trop poétiques et trop beaux pour être jamais réalisés. »