Page:Maupassant - Bel-Ami, OC, Conard, 1910.djvu/333

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Des îles, étalées sur l’eau, s’alignaient toujours l’une au bout de l’autre, ou bien laissant entre elles de grands intervalles, comme les grains inégaux d’un chapelet verdoyant.

Le cocher du fiacre attendait que les voyageurs eussent fini de s’extasier. Il connaissait par expérience la durée de l’admiration de toutes les races de promeneurs.

Mais quand il se remit en marche, Duroy aperçut soudain, à quelques centaines de mètres, deux vieilles gens qui s’en venaient, et il sauta de la voiture, en criant :

— Les voilà. Je les reconnais.

C’étaient deux paysans, l’homme et la femme, qui marchaient d’un pas irrégulier, en se balançant et se heurtant parfois de l’épaule. L’homme était petit, trapu, rouge et un peu ventru, vigoureux malgré son âge ; la femme, grande, sèche, voûtée, triste, la vraie femme de peine des champs qui a travaillé dès l’enfance et qui n’a jamais ri, tandis que le mari blaguait en buvant avec les pratiques.

Madeleine aussi était descendue de voiture et elle regardait venir ces deux pauvres êtres avec un serrement de cœur, une tristesse qu’elle n’avait point prévue. Ils ne reconnaissaient point leur fils, ce beau monsieur,