Page:Maupassant - Chronique, paru dans Le Gaulois, 9 juillet 1882.djvu/8

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coup, et convint que nous avions un peu, rien qu’un peu raison. Un souvenir lui était revenu :

Comme la guerre de 1870 venait de finir, elle fut chargée par un comité de quêter pour la libération du territoire, dans la grande ville manufacturière qu’elle habitait. Elle commença par les quartiers ouvriers. Certes, elle rencontra des brutes, mais elle y trouva aussi nombre de pauvres diables qui donnaient l’argent du dîner. Et des femmes du peuple, attendries, la voulaient embrasser, et des hommes en offrant leurs sous lui serraient les mains à la faire crier. Quand elle pénétra dans les quartiers bourgeois, on répondait que les maîtres étaient sortis, ou bien quand elle les surprenait au logis, ils rusaient pour donner moins, s’excusaient hypocritement, se montraient gueux, avec des phrases.

Un jour enfin, comme elle n’avait point trouvé chez lui un gros industriel, elle le rencontra en sortant. Il s’excusa, avec mille politesses, il la fit entrer, monter deux étages, lui offrit des biscuits et du malaga ; puis, apportant ses livres de commerce, lui prouva que, n’ayant rien gagné durant toute cette année d’invasion, il ne pouvait par conséquent rien donner à la patrie.

Et la quêteuse ajouta : « Nous conservons toujours un peu de parti pris bienveillant pour les gens de notre monde ; au fond vous avez peut-être raison. »

guy de maupassant