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L’ENFANT.

malgré les tortures qu’elle endurait, elle ne voulut pas suivre mon conseil de prendre un amant.

Dans le pays on la disait folle. Elle sortait la nuit et faisait des courses désordonnées pour affaiblir son corps révolté. Puis elle tombait en des syncopes que suivaient des spasmes effrayants.

Elle vivait seule en son château proche du château de sa mère et de ceux de ses parents. Je I’allais voir de temps en temps, ne sachant que faire contre cette volonté acharnée de la nature ou contre sa volonté à elle.

Or, un soir, vers huit heures, elle entra chez moi comme je finissais de dîner. À peine fûmes-nous seuls, elle me dit :

— Je suis perdue. Je suis enceinte !

Je fis un soubresaut sur ma chaise.

— Vous dites ?

— Je suis enceinte.

— Vous ?

— Oui, moi.

Et brusquement, d’une voix saccadée, en me regardant bien en face :

— Enceinte de mon jardinier, docteur.

J’ai eu un commencement d’évanouissement en me promenant dans le parc. L’homme, m’ayant vue tomber, est accouru et m’a prise en ses bras pour m’emporter. Qu’ai-je fait ? Je