Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

verte et docile, en qui la pensée tombait comme une graine.

Le portrait avançait et s’annonçait fort bien, le peintre étant arrivé à l’état d’émotion nécessaire pour découvrir toutes les qualités de son modèle, et les exprimer avec l’ardeur convaincue qui est l’inspiration des vrais artistes.

Penché vers elle, épiant tous les mouvements de sa figure, toutes les colorations de sa chair, toutes les ombres de la peau, toutes les expressions et les transparences des yeux, tous les secrets de sa physionomie, il s’était imprégné d’elle comme une éponge se gonfle d’eau ; et transportant sur sa toile cette émanation de charme troublant que son regard recueillait, et qui coulait, ainsi qu’une onde, de sa pensée à son pinceau, il en demeurait étourdi, grisé comme s’il avait bu de la grâce de femme.

Elle le sentait s’éprendre d’elle, s’amusait à ce jeu, à cette victoire de plus en plus certaine, et s’y animait elle-même.

Quelque chose de nouveau donnait à son existence une saveur nouvelle, éveillait en elle une joie mystérieuse. Quand elle entendait parler de lui, son cœur battait un peu plus vite, et elle avait envie de dire, — une de ces envies qui ne vont jamais jusqu’aux lèvres — : « Il est amoureux de moi. » Elle était contente quand on vantait son