Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/40

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Elle se laissa bercer quelque temps par le mouvement du fiacre, remettant à tout à l’heure les raisonnements qu’elle aurait à faire sur cette situation cruelle. Non, elle ne souffrait pas. Elle avait peur de penser, voilà tout, peur de savoir, de comprendre et de réfléchir ; mais, au contraire, il lui semblait sentir dans l’être obscur et impénétrable que crée en nous la lutte incessante de nos penchants et de nos volontés, une invraisemblable quiétude.

Après une demi-heure, peut-être, de cet étrange repos, comprenant enfin que le désespoir appelé ne viendrait pas, elle secoua cette torpeur et murmura : « C’est drôle, je n’ai presque pas de chagrin. »

Alors elle commença à se faire des reproches. Une colère s’élevait en elle, contre son aveuglement et sa faiblesse. Comment n’avait-elle pas prévu cela ? compris que l’heure de cette lutte devait venir ? que cet homme lui plaisait assez pour la rendre lâche ? et que dans les cœurs les plus droits le désir souffle parfois comme un coup de vent qui emporte la volonté.

Mais quand elle se fut durement réprimandée et méprisée, elle se demanda avec terreur ce qui allait arriver.

Son premier projet fut de rompre avec le peintre et de ne le plus jamais revoir.

À peine eut-elle pris cette résolution que mille raisons vinrent aussitôt la combattre.