Page:Maupassant - L'amour des poètes (extrait de Gil Blas, édition du 1883-05-22).djvu/10

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en chair et en âme.

Tandis que lui ! Si vous saviez ? C’est vous qu’il possède ! mais comme vous êtes autre dans son esprit, dans son amour. Comme il vous transforme, vous complète, vous défigure avec son art de poète. Ce ne sont pas vos lèvres qu’il baise ainsi, ce sont les lèvres rêvées ! Ce n’est pas au fond de vos yeux bleus ou noirs que se perd ainsi son regard exalté ? C’est dans quelque chose d’inconnu et d’insaisissable ! Votre œil n’est que la vitre par laquelle il regarde le Paradis de l’Amour idéal. Il vous étreint, il râle, il semble fou, il délire devant votre corps ferme et blanc ; et il crie ces mots brûlants qui enflamment le sang dans les veines. Et cependant vous n’êtes pour lui qu’une forme quelconque qui lui permet de croire avoir un instant saisi son illusion chérie.

En voulez-vous des preuves ? Quel poète a jamais aimé ? Cherchons.

Est-ce Virgile ? Pour quel sexe alors étaient ses préférences ? On l’ignore !

Les Grecs méprisaient aussi l’amour des femmes qui ne répondaient point à leur idéal de beauté plastique !

Qui donc aima ? Le sombre Dante, le