Page:Maupassant - L’Inutile Beauté, OC, Conard, 1908.djvu/250

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santé ; mais j’y suis entré volontairement, par prudence, par peur !

Un seul être connaît mon histoire. Le médecin d’ici.

Je vais l’écrire. Je ne sais trop pourquoi. Pour m’en débarrasser, car je la sens en moi comme un intolérable cauchemar.

La voici :

J’ai toujours été un solitaire, un rêveur, une sorte de philosophe isolé, bienveillant, content de peu, sans aigreur contre les hommes et sans rancune contre le ciel. J’ai vécu seul, sans cesse, par suite d’une sorte de gêne qu’insinue en moi la présence des autres. Comment expliquer cela ? Je ne le pourrais. Je ne refuse pas de voir le monde, de causer, de dîner avec des amis, mais lorsque je les sens depuis longtemps près de moi, même les plus familiers, ils me lassent, me fatiguent, m’énervent, et j’éprouve une envie grandissante, harcelante, de les voir partir ou de m’en aller, d’être seul. Cette envie est plus qu’un besoin, c’est une nécessité irrésistible. Et si la présence des gens avec qui je me trouve continuait, si je devais, non pas écouter, mais entendre longtemps encore leurs conversations, il m’arriverait, sans aucun doute, un accident.