Page:Maupassant - Le Duel, paru dans Gil Blas, 8 décembre 1881.djvu/5

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c’est la « niaiserie du point d’honneur ».



Au temps où les hommes bardés de fer, hérissés d’armes, ne connaissaient d’autre loi que celle de la force, ce combat singulier était logique et nécessaire. Plus tard, il devint une élégance. L’épée alors faisait partie du costume ; et du moment qu’on la portait sans cesse à son côté, il était bien naturel de la tirer quelquefois. Or, cet usage même de porter ouvertement des armes dans la rue est assez caractéristique ; l’élégance du duel alors ne l’est pas moins. La vieille coutume sauvage de la lutte corps à corps ne pouvant être déracinée encore, et devenant inutile, se faisait précieuse pour n’être point odieuse. À mesure que le duel apparaissait aux hommes intelligents et sérieux comme une chose stupide et méprisable, les hommes galants et écervelés en faisaient de plus en plus une chose coquette et mondaine. C’était alors l’époque des adorables folies, de la raison bafouée, le dernier quart d’heure des gentilshommes.

Aujourd’hui, la loi seule porte une épée. Les chevaliers de noble race sont remplacés par ceux d’industries ; l’élégance est trépassée ; la galanterie n’existe plus. Il y a des sergents de ville dans les rues ; le port des armes est prohibé ; les tribunaux accueillent toutes les plaintes. Et voilà qu’on se bat plus que jamais. Pourquoi ?

Pourquoi ? Pour le point d’honneur, monsieur. Jadis on connaissait l’honneur. Aujourd’hui, il est enterré sous la Bourse ; on ne connaît plus que l’argent. La fréquence des duels tient beaucoup à cela.