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LE CLAIR DE LUNE

blesses aussi, besoin de moi, besoin de mes caresses, de mes larmes !

Tout cela est bête ; mais nous sommes ainsi, nous autres. Qu’y pouvons-nous ?

Et pourtant jamais la pensée de le tromper ne m’aurait effleurée. Aujourd’hui, c’est fait, sans amour, sans raison, sans rien ; parce qu’il y avait de la lune une nuit, sur le lac de Lucerne.

Depuis un mois que nous voyagions ensemble, mon mari, par son indifférence calme, paralysait mes enthousiasmes, éteignait mes exaltations. Alors que nous descendions les côtes au soleil levant, au galop des quatre chevaux de la diligence, et qu’apercevant, dans la buée transparentes du matin, de longues vallées, des bois, des rivières, des villages, je battais des mains, ravie, et que je lui disais : « Comme c’est beau, mon ami, embrasse-moi donc ! » il me répondait avec un sourire bienveillant et froid, en haussant un peu les épaules : a Ce n’est pas une raison pour s’embrasser, parce que le paysage vous plaît. »

Et cela me glaçait jusqu’au cœur. Il me semble pourtant que quand on s’aime, on devrait