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CORRESPONDANCE

Nous nous croyons tout permis, ma chérie, et nous estimons en même temps que tout nous est dû, et nous commettons à cœur joie des actes dépourvus de ce savoir-vivre élémentaire dont tu parles avec passion.

Je trouve maintenant, au contraire, que les hommes ont pour nous beaucoup d’égards, relativement à nos allures envers eux. Du reste, mignonne, les hommes doivent être, et sont, ce que nous les faisons. Dans une société où les femmes seraient toutes de vraies grandes dames, tous les hommes deviendraient des gentilshommes.

Voyons, observe et réfléchis.

Vois deux femmes qui se rencontrent dans la rue ; quelle attitude ! quels regards de dénigrement, quel mépris dans le coup d’œil ! Quel coup de tête de haut en bas pour toiser et condamner ! Et si le trottoir est étroit, crois-tu que l’une cédera le pas, demandera pardon ! Jamais ! Quand deux hommes se heurtent en une ruelle insuffisante, tous deux saluent et s’effacent en même temps ; tandis que, nous autres, nous nous précipitons ventre à ventre, nez à nez, en nous dévisageant avec insolence.