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LE COLPORTEUR

qui va, déposant, de gare en gare, une foule d’hommes à petits paquets, bedonnants et lourds, car ils ne marchent guère, et mal culottés, car la chaise administrative déforme les pantalons. Ce train, où je croyais retrouver une odeur de bureau, de cartons verts et de papiers classés, me déposait à Argenteuil. Ma yole m’attendait, toute prête à courir sur l’eau. Et j’allais dîner à grands coups d’aviron, soit à Bezons, soit à Chatou, soit à Épinay, soit à Saint-Ouen. Puis je rentrais, je remisais mon bateau et je repartais pour Paris à pied, quand j’avais la lune sur la tête.

Donc, une nuit sur la route blanche, j’aperçus devant moi un homme qui marchait. Oh ! presque chaque fois j’en rencontrais de ces voyageurs de nuit de la banlieue parisienne que redoutent tant les bourgeois attardés. Cet homme allait devant moi lentement sous un lourd fardeau.

J’arrivais droit sûr lui, d’un pas très rapide qui sonnait sur la route. Il s’arrêta, se retourna ; puis, comme j’approchais toujours, il traversa la chaussée, gagnant l’autre bord du chemin.