Page:Maupassant - Le Père Milon, 1899.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314
APRÈS

propre cœur. Je n’aurais pas pu voir mourir un de mes enfants sans mourir moi-même. Et j’ai gardé malgré tout une telle peur obscure et pénétrante des événements, que la vue du facteur entrant chez moi me fait passer chaque jour un frisson dans les veines, et pourtant je n’ai plus rien à craindre maintenant. »

L’abbé Mauduit se tut. Il regardait le feu dans la grande cheminée, comme pour y voir des choses mystérieuses, tout l’inconnu de l’existence qu’il aurait pu vivre s’il avait été plus hardi devant la souffrance. Il reprit d’une voix plus basse :

— J’ai eu raison. Je n’étais point fait pour ce monde.

La comtesse ne disait rien ; enfin après un long silence, elle prononça : « Moi, si je n’avais pas mes petits-enfants, je crois que je n’aurais plus le courage de vivre. »

Et le curé se leva sans dire un mot de plus.

Comme les domestiques sommeillaient dans la cuisine, elle le conduisit elle-même jusqu’à la porte qui donnait sur le jardin et elle regarda