Page:Maupassant - Les Sœurs Rondoli, OC, Conard, 1909.djvu/298

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liquéfiée. Le voile humide, qui déteint et porte la saveur ignoble des colorations chimiques, pénètre dans la bouche du jeune homme, mouille sa moustache. Il ne goûte nullement aux lèvres de la bien-aimée, il ne goûte que la teinture de cette dentelle trempée d’haleine froide.

Et pourtant nous nous écrions toutes, comme le poète :

Oh ! les premiers baisers à travers la voilette !

Donc la valeur de cette caresse étant toute conventionnelle, il faut craindre de la déprécier.

Eh bien, ma chérie, je t’ai vue en plusieurs occasions très maladroite. Tu n’es pas la seule, d’ailleurs ; la plupart des femmes perdent leur autorité par l’abus seul des baisers, des baisers intempestifs. Quand elles sentent leur mari ou leur amant un peu las, à ces heures d’affaissement où le cœur a besoin de repos comme le corps, au lieu de comprendre ce qui se passe en lui, elles s’acharnent en des caresses inopportunes, se lassent par l’obstination des lèvres tendues, le fatiguent en l’étreignant sans rime ni raison.

Crois-en mon expérience. D’abord n’embrasse