Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/182

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sauter le morne ! Elle était là-haut, ce jour-là, voici un mois à peine ! Elle était assise sur cette herbe rousse ! Un mois ! Rien qu’un mois ! Elle se rappelait les plus légers détails, les ombrelles tricolores, les marmitons, les moindres paroles de chacun ! Et le chien, le pauvre chien broyé par l’explosion ! Et ce grand garçon inconnu qui s’était élancé sur un mot d’elle pour sauver la bête ! Aujourd’hui il était son amant ! son amant ! Donc elle avait un amant ! Elle était sa maîtresse ! — sa maîtresse ! Elle se répétait ce mot dans le secret de sa conscience — sa maîtresse ! Quel mot bizarre ! Cet homme, assis à côté d’elle, dont elle voyait une main arracher un à un des brins d’herbe auprès de sa robe qu’il cherchait à toucher, cet homme était maintenant lié à sa chair et à son cœur, par cette chaîne mystérieuse, inavouable, honteuse, que la nature a tendue entre la femme et l’homme.

Avec cette voix de la pensée, cette voix muette qui semble parler si haut dans le silence des âmes troublées, elle se répétait sans cesse : « Je suis sa maîtresse ! sa maîtresse ! sa maîtresse ! » Comme cela était étrange, imprévu !

« Est-ce que je l’aime ? » Elle jeta sur lui un coup d’œil rapide. Leurs yeux se rencontrè-