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MONT-ORIOL.

mis à tirer comme tirait la bête tout à l’heure. Ils allaient ! Où ? Quoi faire ? Avaient-ils même quelques sous ? Cette voiture… la traîneraient-ils toujours, ne pouvant acheter un autre animal ? De quoi vivraient-ils ? Où s’arrêteraient-ils ? Ils mourraient probablement comme était mort leur bourricot.

Etaient-ils mariés, ces gueux ; ou seulement accouplés ? Et leur enfant ferait comme eux, cette petite brute encore informe, cachée sous des linges sordides.

Elle songeait à tout cela, Christiane, et des choses nouvelles surgissaient au fond de son âme effarée. Elle entrevoyait la misère des pauvres.

Gontran dit soudain :

— Je ne sais pas pourquoi, mais je trouverais délicieux de dîner tous ensemble, ce soir, au Café Anglais. Le boulevard me ferait plaisir à voir.

Et le marquis murmura :

— Bah ! on est bien ici. Le nouvel hôtel vaut beaucoup mieux que l’ancien.

On passait devant Tournoël. Un souvenir fit battre le cœur de Christiane, en reconnaissant un châtaignier. Elle regarda Paul qui avait fermé les yeux et ne vit point son humble appel.

Bientôt on aperçut deux hommes devant