Page:Maupassant - Pétition d'un viveur malgré lui (extrait de Gil Blas, édition du 1882-01-12).djvu/9

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mille. Je me perds aux yeux du monde, et je déshonore les miens. Mais je fais cela pour toi et j’en suis heureuse. » Une sueur froide me coula dans le dos. Je lui pris les mains ; je la suppliai de ne pas accomplir ce sacrifice que je ne voulais point accepter ; je tâchai de la calmer, de la raisonner. Peine inutile. Alors, les yeux dans les yeux, elle me dit d’une voix sifflante « Serais-tu un lâche ; serais-tu de ceux qui séduisent une femme puis l’abandonnent au premier caprice ? »

Je protestai. Mais je lui montrai la folie de son action, ses conséquences pour toute notre vie. Obstinée, elle répondait simplement : « Je t’aime ». À la fin, pris d’impatience, je lui dis nettement : « Je ne veux pas. Je te défends de me suivre. » Elle se leva, et partit sans prononcer un mot.

Le lendemain j’apprenais qu’elle avait tenté de s’empoisonner. On la crut perdue pendant huit jours. Une de ses amies, sa confidente, vint me trouver ; me reprocha brutalement l’infamie de ma conduite. Je fus inflexible. Pendant un mois je n’entendis parler d’elle que vaguement. On la disait très malade. Puis soudain je fus prévenue par son amie qu’elle était perdue, condamnée. Qu’une promesse d’amour seule la pouvait sauver. Je promis tout ce qu’on voulut. Elle guérit. Je l’enlevai.

Naturellement j’avais donné ma démission. Et pendant deux ans nous vécûmes ensemble dans une petite ville d’Italie,