Page:Maupassant - Souvenirs d'un an, paru dans Le Gaulois, 23 août 1880.djvu/7

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dans la main largement tendue.

Il se jette, toujours souffrant, dans un fauteuil, et son regard observateur cherche sur les figures l’état des pensées, le ton des conversations. Assis un peu de côté, une jambe sous lui, tenant sa cheville dans sa main, et parlant peu, il écoute attentivement. Quelquefois, quand un enthousiasme littéraire, une griserie d’artistes emporte les causeurs et les lance en ces théories excessives, charmantes et paradoxales, si chères aux hommes de 1830, il devient inquiet, remue la jambe, place de temps en temps un « mais… » étouffé dans les grands éclats de Flaubert ; puis, quand la poussée lyrique de ses amis se calme un peu, il reprend tout doucement la discussion, et, tranquillement, se servant de sa raison comme on fait d’une hache à travers les forêts vierges, il argumente sobrement, sans emballage, d’une façon sage et juste presque toujours.



D’autres arrivent : Edmond de Goncourt, avec de longs cheveux grisâtres, comme décolorés, une moustache un peu plus blanche et des yeux singuliers, envahis par une pupille énorme. Grand seigneur marqué du dix-huitième siècle, qu’il a si passionnément étudié, fin de la tête aux pieds, nerveux comme son style, gardant une allure si haute que les valets par instinct doivent lui dire : « Monsieur le duc », simple cependant et simplement vêtu, il entre, tenant à la main un paquet de tabac spécial qu’il emporte par-