Page:Maupassant - Théâtre, OC, Conard, 1910.djvu/224

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Jacques de Randol.

Vous ne l’avez pas vu aujourd’hui ?

Madame de Sallus.

Non : il a déjeuné dehors. Alors, moi, j’ai songé, et je suis décidée à ne plus me trouver en face de lui.

Jacques de Randol.

Êtes-vous sûre qu’il n’y ait pas là-dedans beaucoup de colère, de vanité froissée par votre attitude, beaucoup de bravade et de dépit ? Peut-être sera-t-il très gentil tout à l’heure. Il a passé sa soirée d’hier à l’Opéra. La Santelli a eu un gros succès dans Mahomet, et je crois qu’elle l’a invité à souper. Or, si le souper a été de son goût, peut-être est-il à présent d’une humeur charmante.

Madame de Sallus.

Oh ! que vous êtes irritant !… Comprenez donc que je suis au pouvoir de cet homme, que je lui appartiens, plus que son valet et même que son chien, car il a sur moi des droits ignobles. Le Code, votre code de sauvages, me livre à lui sans défense, sans révolte possible : sauf me tuer, il peut tout. Comprenez-vous cela, vous ? comprenez-vous l’horreur de ce droit ?… Sauf me tuer, il peut tout !… Et il a la force, la force et la police pour tout exiger !… et moi, je n’ai pas un moyen d’échapper à cet homme que je méprise et que je hais ! Oui, voilà votre loi !… Il m’a prise, épousée, puis délaissée. Moi, j’ai le droit moral, le droit absolu