Page:Maupassant - Théâtre, OC, Conard, 1910.djvu/261

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comment, dans le monde des aventuriers et sachant y faire figure. Que nous importe, d’ailleurs ? On dit que son vrai nom, son nom de fille, car elle est restée fille à tous les titres, sauf au titre innocence, est Octavie Bardin, d’où Obardi, en conservant la première lettre du prénom et en supprimant la dernière du nom.

C’est d’ailleurs une aimable femme dont tu seras inévitablement l’ami et le client, toi, de par ton physique. J’ajoute cependant que si l’entrée est libre en cette demeure, comme dans les bazars, on n’est pas strictement forcé d’acheter ce qui se débite dans la maison. On y tient de tout, on y fait de tout, on y vend de tout, depuis les sourires jusqu’aux concessions de terre dans les nouvelles républiques, de mines dans le centre africain et de passe-partout de l’appartement où nous entrons en ce moment par la grande porte. Demande et tu seras servi selon ta bourse.

La marquise s’installa dans le quartier de l’Étoile, quartier suspect, voici trois ans, et ouvrit ses salons à cette écume des continents qui vient exercer à Paris ses talents divers, redoutables et criminels.

J’allai chez elle. Comment ? Je ne le sais plus au juste. J’y allai comme nous allons tous là-dedans, parce qu’on y joue, parce que les femmes y sont faciles et les hommes malhonnêtes. J’aime ce monde de flibustiers à décorations variées, qui décrochent une croix de leur poitrine pour vous la vendre dés que vous tirez votre portefeuille. Ils sont tous nobles, tous généraux, tous sénateurs en leurs patries, et tous inconnus à leurs ambassades, à l’exception des espions. Tous parlent de l’honneur à propos de bottes, citent leurs ancêtres à propos de rien, racontent leur vie à propos de tout, hâbleurs, menteurs, filous dangereux comme leurs cartes, trompeurs comme leurs noms, braves à la façon des voleurs de grand chemin, mais jamais banals comme des fonctionnaires français. C’est l’aristocratie du bagne, enfin !

Quant à leurs femmes ?… toujours jolies avec une petite