Page:Maupassant - Théâtre, OC, Conard, 1910.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
histoire du vieux temps


la marquise.

Enfin, cela vaut mieux, mais vous avez péché,
Et je ne vous tiens pas quitte à si bon marché.
Savez-vous, mon cher comte, à quoi je vous compare ?
Votre cœur est fermé comme un logis d’avare :
Vous êtes l’hôte ; quand on vient pour visiter
Vous vous imaginez qu’on va tout emporter,
Et ne montrez aux gens qu’un tas de vieilleries.
Voyons, plus de détours et trêve aux railleries !
Tout avare, en un coin, cache un coffret plein d’or,
Et le cœur le plus pauvre a son petit trésor.
Qu’avez-vous tort au fond ? Portrait de jeune fille
De seize ans, qu’on aima jadis ; légère idylle
Dont on rougit peut-être et qu’on cache avec soin,
N’est-ce pas ? Mais, parfois, plus tard, on a besoin
De venir contempler ces images, laissées
Là-bas, derrière soi ; ces histoires passées
Dont on souffre et pourtant dont on aime souffrir.
On s’enferme tout seul, une nuit, pour ouvrir
Certain vieux livre et son vieux cœur ; comme on regarde
La pauvre fleur donnée un beau soir, et qui garde
La lointaine senteur des printemps d’autrefois !
On écoute, on écoute, et l’on entend sa voix
Par les vieux souvenirs faiblement apportée.
Et l’on baise la fleur, dont l’empreinte est restée
Comme au feuillet du livre à la page du cœur.
Hélas ! Quand la vieillesse apporte la douleur,
Vous embaumez encor nos dernières journées,
Parfums des vieilles fleurs et des jeunes années !
le comte.
C’est vrai ! Même à l’instant j’ai senti revenir,