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histoire du vieux temps.


Et moi leur chef, en tout peut-être une centaine,
Cachés dans les buissons qui contournaient la plaine,
Protégeant la retraite et cédant peu à peu.
Nos hommes, à la fin, avaient cessé le feu ;
Et l’on se dispersait, selon notre coutume,
Quand un soldat soudain, un Bleu, qui, je le présume,
S’était, grâce aux buissons, avancé jusqu’à nous,
Sauta dans le chemin et me tira deux coups
De pistolet. J’ouvris la tête de ce drôle ;
Mais j’avais, pour ma part, deux balles dans l’épaule.
Tout mon monde était loin. En prudent général,
J’enfonçai l’éperon aux flancs de mon cheval.
Alors, à travers champs, et la tête éperdue,
Comme un fou qui s’enfuit, j’allai, bride abattue ;
Tant qu’enfin, harassé, brisé, n’en pouvant plus,
Je tombai, tout en sang, au revers d’un talus.
Mais bientôt, prés de moi, je vis une lumière
Et j’entendis des voix. — C’était une chaumière
Où je heurtai, criant : « Ouvrez, au nom du roi ! »
Et puis, à bout de force et tout midi de froid,
Je m’affaissai, soudain, en travers de la porte.
Suis-je resté longtemps étendu de la sorte ?
Je ne sais ; mais, alors que je repris mes sens,
J’étais dans un bon lit bien chaud ; de braves gens,
Attendant mon réveil avec inquiétude,
S’empressaient, m’entouraient, pleins de sollicitude ;
Et je vis, au milieu de ces lourdauds Bretons,
Comme un oiseau des bois couvé par des dindons,
Une enfant de seize ans ! ah ! marquise, marquise,
Quelle tête ingénue et quelle grâce exquise !
Comme elle était jolie avec ses cheveux blonds
Sous son petit bonnet, si soyeux et si longs,