Page:Maupassant - Yvette.djvu/96

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Que sais-je, moi ? Vous êtes aussi peu raisonnable qu’elle.

La jeune fille ne descendit point pour dîner. Comme on voulait lui porter à manger, elle répondit à travers la porte qu’elle n’avait pas faim, car elle s’était enfermée, et elle pria qu’on la laissât tranquille. Les deux jeunes gens partirent par le train de dix heures, en promettant de revenir le jeudi suivant, et la marquise s’assit devant sa fenêtre ouverte pour rêver, écoutant au loin l’orchestre du bal des canotiers jeter sa musique sautillante dans le grand silence solennel de la nuit.

Entraînée pour l’amour et par l’amour, comme on l’est pour le cheval ou l’aviron, elle avait de subites tendresses qui l’envahissaient comme une maladie. Ces passions la saisissaient brusquement, la pénétraient tout entière, l’affolaient, l’énervaient ou l’accablaient, selon qu’elles avaient un caractère exalté, violent, dramatique ou sentimental.

Elle était une de ces femmes créées pour aimer et pour être aimées. Partie de très bas, arrivée par l’amour dont elle avait fait une profession presque sans le savoir, agissant par instinct, par adresse innée, elle acceptait l’argent comme