Page:Maupassant Bel-ami.djvu/162

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caniche à jouer du tambour, et il déclara : — En voilà de l’esprit !

Duroy riait d’un rire approbateur et s’extasiait : — Comme c’est charmant, comme c’est charmant, char… — Il s’arrêta net, en entendant derrière lui la voix de Mme de Marelle qui venait d’entrer.

Le patron continuait à éclairer les toiles, en les expliquant.

Il montrait maintenant une aquarelle de Maurice Leloir : « L’Obstacle. » C’était une chaise à porteurs arrêtée, la rue se trouvant barrée par une bataille entre deux hommes du peuple, deux gaillards luttant comme des hercules. Et on voyait sortir par la fenêtre de la chaise un ravissant visage de femme qui regardait… qui regardait… sans impatience, sans peur, et avec une certaine admiration le combat de ces deux brutes.

M. Walter disait toujours : — J’en ai d’autres dans les pièces suivantes, mais ils sont de gens moins connus, moins classés. Ici c’est mon Salon carré. J’achète des jeunes en ce moment, des tout jeunes, et je les mets en réserve dans les appartements intimes, en attendant le moment où les auteurs seront célèbres. — Puis il prononça tout bas : — C’est l’instant d’acheter des tableaux. Les peintres crèvent de faim. Ils n’ont pas le sou, pas le sou…

Mais Duroy ne voyait rien, entendait sans comprendre. Mme  de Marelle était là, derrière lui. Que devait-il faire ? S’il la saluait, n’allait-elle point lui tourner le dos ou lui jeter quelque insolence ? S’il ne s’approchait pas d’elle, que penserait-on ?

Il se dit : — Je vais toujours gagner du temps. — Il était tellement ému qu’il eut l’idée un moment de simuler