Page:Maupassant Bel-ami.djvu/386

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à son pied. Ah ! s’il avait deviné, s’il avait su ! Comme il aurait joué un peu plus large, plus fort ! Quelle belle partie il aurait pu gagner avec la petite Suzanne pour enjeu ! Comment avait-il été assez aveugle pour ne pas comprendre ça ?

Ils arrivaient à la salle à manger, une immense pièce à colonnes de marbre, aux murs tendus de vieux Gobelins.

Walter aperçut son chroniqueur et s’élança pour lui prendre les mains. Il était ivre de joie : — Avez-vous tout vu ? Dis, Suzanne, lui as-tu tout montré ? Que de monde, n’est-ce pas, Bel-Ami ? Avez-vous vu le prince de Guerche ? Il est venu boire un verre de punch, tout à l’heure.

Puis il s’élança vers le sénateur Rissolin qui traînait sa femme étourdie et ornée comme une boutique foraine.

Un monsieur saluait Suzanne, un grand garçon mince, à favoris blonds, un peu chauve, avec cet air mondain qu’on reconnaît partout. Georges l’entendit nommer : le Marquis de Cazolles, et il fut brusquement jaloux de cet homme. Depuis quand le connaissait-elle ? Depuis sa fortune sans doute ? Il devinait un prétendant.

On le prit par le bras. C’était Norbert de Varenne. Le vieux poète promenait ses cheveux gras et son habit fatigué d’un air indifférent et las.

— Voilà ce qu’on appelle s’amuser, dit-il. Tout à l’heure on dansera ; et puis on se couchera ; et les petites filles seront contentes. Prenez du champagne, il est excellent.

Il se fit emplir un verre et, saluant Du Roy qui en avait pris un autre : — Je bois à la revanche de l’esprit sur les millions.

Puis il ajouta, d’une voix douce : — Non pas qu’ils me gênent chez les autres ou que je leur en veuille. Mais je proteste par principe.

Georges ne l’écoutait plus. Il cherchait Suzanne qui