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que prend son activité à chaque moment de l’histoire dépendent de toutes autres conditions qui varient d’une société à une autre et changent avec le temps au sein d’une même société : c’est l’ensemble des habitudes collectives. Parmi ces habitudes il en est de différentes sortes. Les unes appellent la réflexion par suite de leur importance même. On en prend conscience et on les consigne dans des formules écrites ou orales qui expriment comment le groupe a l’habitude d’agir, et comment il exige que ses membres agissent ; ces formules impératives ce sont les règles du droit, les maximes de la morale, les préceptes du rituel, les articles du dogme, etc. Les autres restent inexprimées et diffuses, plus ou moins inconscientes. Ce sont les coutumes, les mœurs, les superstitions populaires que l’on observe sans savoir qu’on y est tenu, ni même en quoi elles consistent exactement. Mais dans les deux cas, le phénomène est de même nature. Il s’agit toujours de manières d’agir ou de penser, consacrées par la tradition et que la société impose aux individus. Ces habitudes collectives et les transformations par lesquelles elles passent incessamment, voilà l’objet propre de la sociologie.

Il est d’ailleurs possible dès à présent de prouver directement que ces habitudes collectives sont les manifestations de la vie du groupe en tant que groupe. L’histoire comparée du droit, des religions, a rendu commune l’idée que certaines institutions forment avec certaines autres un système, que les premières ne peuvent se transformer sans que les secondes se transforment également. Par exemple, on sait qu’il existe des liens entre le totémisme et l’exogamie, entre l’une et l’autre pratique et l’organisation du clan ; on sait que le système du pouvoir patriarcal est en relation avec le régime de la cité, etc. D’une façon générale, les historiens ont pris l’habitude de montrer les rapports que soutiennent les différentes institutions d’une même époque, de ne pas isoler une institution du milieu où elle est apparue. Enfin on est de plus en plus porté à chercher dans les propriétés d’un milieu social (volume, densité, mode de composition, etc.) l’explication des phénomènes généraux qui s’y produisent : on montre par exemple quelles modifications profondes l’agglomération urbaine apporte à une civilisation agricole, comment la forme de l’habitat conditionne l’organisation domestique. Or, si les institutions dépendent les unes des autres et dépendent toutes de la constitution du groupe social, c’est évidemment