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a priori, elles sont le résumé d’un premier travail, d’une première revue rapide des faits, dont on distingue les qualités communes. Elles ont surtout pour objet de substituer aux notions du sens commun une première notion scientifique. C’est qu’en effet il faut, avant tout, se dégager des préjugés courants, plus dangereux en sociologie qu’en aucune autre science. Il ne faut pas poser sans examen, comme définition scientifique, une classification usuelle. Beaucoup d’idées encore usitées dans bien des sciences sociales ne semblent pas plus fondées en raison qu’en fait et doivent être bannies d’une terminologie rationnelle ; par exemple la notion de paganisme et même celle de fétichisme ne correspondent à rien de réel. D’autres fois, une recherche sérieuse conduit à réunir ce que le vulgaire sépare, ou à distinguer ce que le vulgaire confond. Par exemple, la science des religions a réuni dans un même genre les tabous d’impureté et ceux de pureté parce qu’ils sont tous des tabous ; au contraire, elle a soigneusement distingué les rites funéraires et le culte des ancêtres.

Ces définitions seront d’autant plus exactes et plus positives qu’on s’efforcera davantage de désigner les choses par leurs caractères objectifs. On appelle caractères objectifs les caractères que tel ou tel phénomène social a en lui-même, c’est-à-dire ceux qui ne dépendent pas de nos sentiments et de nos opinions personnelles. Ainsi ce n’est pas par notre idée plus ou moins raisonnée du sacrifice que nous devons définir ce rite, c’est par les caractères extérieurs qu’il présente, en tant que fait social et religieux, extérieur à nous, indépendant de nous. Conçue de la sorte, la définition devient un moment important de la recherche. Ces caractères par lesquels on définit le phénomène social à étudier, bien qu’extérieurs, n’en correspondent pas moins aux caractères essentiels que l’analyse décèlera. Aussi des définitions heureuses peuvent-elles mettre sur la voie de découvertes importantes. Quand on définit le crime un acte attentatoire aux droits des individus, les seuls crimes sont les actes actuellement réputés tels : l’homicide, le vol, etc. Quand on le définit un acte qui provoque une réaction organisée de la collectivité, on est conduit à comprendre dans la définition toutes les formes vraiment primitives du crime, en particulier la violation des règles religieuses du tabou par exemple.

Enfin ces définitions préalables constituent une garantie