Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/36

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une analyse de plus en plus précise ; ainsi une carte, par arrondissements, du suicide en France, conduit à remarquer des phénomènes différents de ceux que fait apparaître une carte par départements.

En ce qui concerne les documents historiques ou ethnographiques, la sociologie doit adopter, en gros, les procédés de la « critique historique ». Elle ne peut se servir de faits controuvés et par conséquent elle doit établir la vérité des informations dont elle se sert. Ces procédés de critique sont d’un emploi d’autant plus nécessaire qu’on a souvent, non sans raison, reproché aux sociologues de les avoir négligés ; on a, par exemple, utilisé sans assez de discernement les renseignements des voyageurs et des ethnographes. La connaissance des sources, une critique sévère eussent permis aux sociologues de donner une base incontestable à leurs théories concernant les formes élémentaires de la vie sociale. On peut d’ailleurs espérer que les progrès de l’histoire et de l’ethnographie faciliteront de plus en plus le travail, en fournissant des informations incontestables. La sociologie a tout à espérer des progrès de ces deux disciplines. Mais quoique le sociologue ait les mêmes exigences critiques que l’historien, puisqu’il étudie les faits dans un autre esprit, en vue d’un autre but, il doit conduire sa critique suivant des principes différents. D’abord, il n’observe, autant que possible, que les faits sociaux, les faits profonds ; et l’on sait combien des préoccupations de ce genre sont récentes dans les sciences historiques, où l’on manque, par exemple, de nombreuses et bonnes histoires de l’organisation économique même de nos pays. Ensuite la sociologie ne pose pas aux faits de questions insolubles et dont la solution n’a, d’ailleurs, qu’une mince valeur explicative. Ainsi, en l’absence de monuments certains, il n’est pas indispensable de dater avec exactitude le Rig-Veda : la chose est impossible, et au fond indifférente. On n’a pas besoin de connaître la date d’un fait social, d’un rituel de prières pour s’en servir en sociologie, pourvu que l’on connaisse ses antécédents, ses concomitants, ses conséquents, en un mot tout le cadre social qui l’entoure. Enfin le sociologue ne recherche pas exclusivement le détail singulier de chaque fait. Après avoir fait surtout de la biographie de grands hommes et de tyrans, les historiens tentent, maintenant, surtout de la biographie collective. Ils s’attachent aux nuances particulières des mœurs, des croyances