Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
La sociologie : objet et méthode
37

valeur tout à fait inégale. On attache ainsi une excessive importance au nombre des expériences, des faits accumulés. On ne donne pas assez d’intérêt à la qualité de ces expériences, à leur certitude, à la valeur démonstrative et à la comparabilité des faits. Il est probablement préférable de renoncer à de telles prétentions d’exactitude, et il vaut mieux s’en tenir à d’élémentaires mais sévères comparaisons. En premier lieu, il est important de ne rapprocher que des faits de même ordre, c’est-à-dire qui rentrent dans la définition posée au début du travail. Ainsi on fera bien, dans une théorie de la famille, à propos du clan, de ne rassembler que des faits de clan et de ne pas réunir avec eux des renseignements ethnographiques qui concernent en réalité la tribu et le groupe local, souvent confondus avec le clan. En second lieu il faut arranger les faits ainsi rapprochés en séries soigneusement constituées. Autrement dit, on dispose les différentes formes qu’ils présentent suivant un ordre déterminé, soit un ordre de complexité croissante ou décroissante, soit un ordre quelconque de variation. Par exemple, dans une théorie de la famille patriarcale, on rangera la famille hébraïque au-dessous de la famille grecque, celle-ci au-dessous de la famille romaine. En troisième lieu, en regard de cette série, on dispose d’autres séries, construites de la même manière, composées d’autres faits sociaux. Et c’est des rapports que l’on saisit entre ces diverses séries que l’on voit se dégager les hypothèses. Par exemple, il est possible de rattacher l’évolution de la famille patriarcale à l’évolution de la cité : des Hébreux aux Grecs, de ceux-ci aux Romains, dans le droit romain lui-même, on voit le pouvoir paternel s’accroître au fur et à mesure que la cité se resserre.


Caractère scientifique des hypothèses sociologiques

On arrive ainsi à inventer des hypothèses et à les vérifier, à l’aide de faits bien observés, pour un problème bien défini. Naturellement, ces hypothèses ne sont pas forcément justes ; un bon nombre de celles qui nous apparaissent évidentes aujourd’hui seront abandonnées un jour. Mais si elles ne portent pas ce caractère de vérité absolue, elles portent tous les caractères de l’hypothèse scientifique. En premier lieu, elles sont vraiment explicatives ; elles disent le pourquoi et le comment des choses. On n’y explique pas une règle juridique comme celle de la res-