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La sociologie : objet et méthode
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fication correspondante est, depuis Münsterberg, l’objet de discussions passionnées. Si nous nous en servons, c’est au nom de l’usage commun. La sociologie a intérêt à n’emprunter que les mots du langage courant, mais elle doit leur donner un sens précis et à elle. Des mots de ce genre n’ont que peu d’inconvénient si l’on sait précisément ce qu’ils connotent. Or, tout dans le règne social, se place dans un autre plan, selon d’autres symétries, avec d’autres attractions que dans le règne de la conscience individuelle. Les mots : actes, représentations n’ont donc pas la même valeur ; l’opposition des faits qu’ils désignent n’ont donc pas la même portée qu’en psychologie.

L’intrication du mouvement et de la représentation est plus grande dans la vie sociale.

En effet, une peine, un suicide, un temple, un outil, sont des faits matériels, comme le commerce ou la guerre. Ce sont cependant aussi des faits moraux, ou religieux, techniques, économiques, généraux. Le comportement de l’homme en tant que sociable, est donc encore plus lié à la conscience collective que le comportement individuel ne l’est à la conscience individuelle. Un acte social est toujours inspiré. Les idées peuvent y dominer même au point de nier la vie des individus, aboutir même à des destructions de peuples ou à la destruction du groupe : ainsi un siège désespéré, la résistance d’un groupe de mitrailleurs. Inversement, en tant que social, un fait est presque toujours un acte, une attitude prise. Même une négation d’acte, une paix, absence de guerre, est une chose ; vivre sans procès est agréable ; un tabou, un rite négatif, un commandement d’étiquette est un acte : si je ne vous dépasse pas, c’est que je me retiens de marcher. Même les représentations collectives les plus élevées n’ont d’existence, ne sont vraiment telles que dans la mesure où elles commandent des actes. La foi, quoi qu’en disent les théologiens de certaines Églises, de certaines hérésies, et certains littérateurs qui prennent les dires pour les faits, n’est rien sans les œuvres. Elle est en elle-même une œuvre, la recherche d’un état mental, d’une confiance, d’une révélation. Même chez les quiétistes parfaits elle implique une prise d’attitude : le quiétisme lui-même, ce comportement négatif que l’on voudrait bien faire prendre pour une idée, mais qui consiste à vider volontairement l’âme de tout acte et peut-être de toute idée. Cette liaison intime de l’acte et de la représentation est fatale dès qu’en dehors de la pure