Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
Essais de sociologie

logie sociale. Il faut utiliser à leur propos le procédé que M. Meillet a employé ici même[1] au sujet du sens des mots : voir les groupes divers qui s’inspirent d’une même notion, font en même temps ou successivement les actes de différents sens, comme ils se servent d’un seul mot. La notion d’efficace est commune à bien des parties de la sociologie : à la technique et à la religion en particulier ; on en voit cependant, même si on admet une origine commune, les divers points d’application. Les Grecs opposaient la loi à la nature, le νόμος à la φύσις en droit, en religion, en art, en esthétique. La notion de règle est appliquée par la science des mœurs et par la science économique. On saisit cependant la différence importante de ces deux façons de concevoir la même chose, la même attitude sociale. Une propriété est une richesse et inversement ; cependant on conçoit la relation des deux termes. Peu de sujets sont plus passionnants que ceux-ci. C’est sur les confins des divisions de la sociologie, comme sur les confins de toutes les sciences et parties des sciences que s’opèrent normalement les plus grands progrès. Parce que c’est là qu’on saisit les jointures des faits et que l’on sent le mieux les oppositions de points de vue.

Naturellement il est d’autres progrès, notamment ceux auxquels Durkheim et ses collaborateurs semblent avoir le plus travaillé. Ils consistent à approfondir chacune des diverses sciences sociales que la sociologie groupe. Mais même ces progrès conduisent selon nous à dépasser les limites si vastes et pourtant encore étroites, du droit, de l’économie, de la religion, etc. Ils consistent même souvent dans une simple vue des raisons historiques complexes d’un fait simple. Toute recherche profonde met à nu, sous le froid des institutions, ou sous le flottement des idées, le vivant ou le conscient tout entier, le groupe d’hommes. Dans un va-et-vient constant, en passant du tout de la société à ses parties (groupes secondaires), aux instants de sa vie, aux types d’action et de représentation ; dans une étude spéciale du mouvement des parties, jointe cependant à une étude globale du mouvement du tout, doit se faire non seulement le progrès de la sociologie générale, mais celui même des sociologies spéciales. Ou plutôt, de même qu’il n’y a qu’une physique, peut-être même qu’un phénomène physique ou physico-chimique apprécié par divers

  1. « Comment les mots changent de sens ». Cf. Année sociologique, 9.