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Essais de sociologie

à quiconque est amoureux de vague et d’idéal. Ce sont, à notre avis, les chercheurs d’ineffable qui se trompent. Au contraire de ce qu’ils disent, on est sûr qu’il y a mythe ou légende, pensée forte et ancrée, quand il y a pèlerinage de saints, fête, clans ou confréries attachés à ces lieux saints. Le jeu des idées collectives est sérieux quand il se reflète dans les lieux et dans les objets, parce qu’il se passe dans les groupes que d’ailleurs ce jeu crée, dissout et recrée sans cesse.

Ainsi cette division des phénomènes sociaux en morphologiques et physiologiques et celle des phénomènes physiologiques en représentations et en actes collectifs peut s’appliquer utilement à l’intérieur des différentes sociologies spéciales. Peut-être même faut-il s’en servir obligatoirement quand on étudie séparément les phénomènes sociaux cloisonnés en religieux, juridiques, économiques, etc. Les spécialités découpent les grandes classes de faits pour ainsi dire en piles verticalement disposées ; au contraire on peut aussi diviser ces sections en tranches pour ainsi dire horizontales, par degrés, par couches d’idéation croissante ou décroissante, de matérialisation plus ou moins grande selon qu’on s’éloigne ou se rapproche de la représentation pure ou de la structure matérielle proprement dite. À notre avis, cette division fournit un principe de méthode pour l’étude de chaque grand groupe de faits. Elle constitue une sorte de preuve arithmétique que l’on a été complet. Car, à notre sens, un phénomène social est expliqué quand on a trouvé à quel groupe il correspond, et à quel fait de pensée et d’acte il correspond, qu’il soit physiologique ou morphologique, peu importe.

L’application de ce principe va de soi quand il s’agit de physiologie pure. Cependant peu de sociologues l’emploient de façon constante. Il est pourtant presque infaillible à l’usage. Il force à voir, à chercher les actes sous les représentations et les représentations sous les actes et, sous les uns et les autres, les groupes. Des séries d’institutions qui apparaissent, à la surface, comme composées exclusivement de pratiques traditionnelles ou d’actes de fabrication, comme la coutume et les techniques, sont pleines de notions que la science du droit et la technologie doivent dégager. D’autres séries de faits sociaux qui apparaissent comme purement rationnelles, idéales, spéculatives, imaginatives, ou sentimentales et ineffables, telles la musique ou la poésie et la science, sont pleines d’actes, d’activités, d’actions,