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Essais de sociologie

dans toutes les études de physiologie sociale, la recherche statistique. Les sous-groupes et leurs actions peuvent en effet être dénombrés. On recense les professions. Même les crimes correspondent, pour ainsi dire, au sous-groupe des criminels.

Hélas ! même dans l’Année sociologique, nous sommes loin de compte. La statistique, mathématique sociale, pourtant d’origine sociologique elle-même, semble se réduire pour nous aux problèmes usuels : de la population (morphologie), de la criminologie et de l’état civil (statistique morale) et de l’économie, cette partie de nos sciences qui se vante d’être le domaine du nombre et des lois du nombre et qui l’est en effet en partie. Cette restriction de l’emploi de la statistique est inexacte. Au fond, tout problème social est un problème statistique. La fréquence du fait, le nombre des individus participants, la répétition au long du temps, l’importance absolue et relative des actes et de leurs effets par rapport au reste de la vie, etc., tout est mesurable et devrait être compté. L’assistance au théâtre ou au jeu, le nombre des éditions d’un livre instruisent sur le prix attaché à une œuvre ou à un sport beaucoup mieux que des pages et des pages de moralistes ou de critiques. La force d’une Église se mesure au nombre et à la richesse de ses temples, au nombre de ses croyants et à la grandeur de leurs sacrifices, et, s’il faut aussi toujours considérer les impondérables en elle, ne considérer que la foi et la théologie est une non moins grave erreur que de les oublier. Manié avec prudence et intelligence le procédé statistique est non seulement le moyen de mesurer mais le moyen d’analyser tout fait social, parce qu’il force à apercevoir le groupe agissant. Il est vrai que, bien des travaux statistiques actuels eux-mêmes sont plutôt inspirés par les besoins administratifs ou politiques des États, ou bien sont mal dotés, ou mal dirigés par une curiosité mal éclairée de professionnels ; ils présentent un fatras. Les vrais travaux sont encore à entreprendre. Cependant on sait déjà combien l’historien et le sociologue des générations qui viennent seront mieux armés que nous ne fûmes. Dès nos jours, dans des travaux immenses, comme ceux du « census » américain ou du « census » des Indes, l’on voit apparaître, à travers les statistiques compilées, les choses sociales en ébullition : le « chaudron de la sorcière » où se fabrique une société. Dans des études ainsi entreprises, le cadre de toutes les divisions spéciales elles-mêmes s’enrichit.