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Division concrète de la sociologie
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intellectuelles avec les autres nations. De plus, éclairée, rehaussée, affinée par la sociologie, cette action peut être infiniment meilleure que si on la laisse aveugle. Donc l’art politique ne doit pas être indépendant de la sociologie, et celle-ci ne doit pas se désintéresser de lui. Mais quels doivent être leurs rapports ? Quelle place faut-il leur donner dans une sociologie complète ? Voici quelques indications.

D’abord il faut répéter le vœu de Spencer repris par Durkheim : que la connaissance de la sociologie devrait être requise pour qualifier l’administrateur et le légiste. En fait, dans de nombreux pays, la sociologie fait partie des programmes d’examens du futur fonctionnaire et de nombreuses écoles de hautes études commerciales ou administratives. De plus, en fait encore, la sociologie agit déjà clairement de nos jours sur la politique. Celle-ci a pris une attitude positive, expérimentale qui provient, plus qu’on ne croit, de nos études.

Seulement que doit être le rapport inverse ? Si nous voyons clairement ce que nous devons exiger du politicien, et même du citoyen qui se doit de s’éclairer, qu’est-ce que celui-ci a à réclamer de nous ? D’abord notre attention. C’est-à-dire : le public ne nous permet pas de nous occuper exclusivement de ce qui est facile, amusant, curieux, bizarre, passé, sans danger parce qu’il s’agit de sociétés mortes ou lointaines des nôtres. Il veut des études concluantes quant au présent. À cette requête on pourrait être tenté de répondre : que la science est souveraine ; que sa fantaisie — celle des savants — doit être sans limites. Car on ne sait jamais quel est le fait décisif, même au point de vue pratique. Souvent un fait de nos civilisations a son explication dans d’étranges coins du passé ou de l’exotique. Il est peut-être enregistré en ce moment dans d’obscures statistiques ; il peut naître de nos jours, dans des gestations inconnues de formes inconnues d’associations inventées dans des couches inconnues même de nos populations. Ceci s’est vu : la coopération est née ainsi ; le syndicalisme a des origines populaires très basses ; le christianisme a vécu dans les catacombes ; des traditions scientifiques et philosophiques grandioses ont cheminé dans l’obscurité. Mais, ce droit de la science réservé, il faut faire des efforts. — Il faut d’abord être à l’affût de ces mouvements nouveaux des sociétés, les porter au plus vite à la connaissance du public scientifique, en esquisser la théorie. Pour ce faire, il faudrait une meilleure répartition des forces