ils ne perdent pas leurs paroles sans dessein, surtout quand il s’agit d’un giaour.
Pourquoi était-il venu me demander si j’étais un homme important, si je savais tirer, si je savais écrire ? Pourquoi s’informait-il de mes relations avec les Anglais ? Pourquoi me parler de ma force ? etc. Mais aussi pourquoi m’interroger avec ce ton de supériorité et comme l’eût pu faire un juge d’instruction ? Cependant cet homme, à qui le commandement semblait être une habitude, avait obéi, comme son compagnon, à un signe de la femme voilée.
Étrange !… surtout dans un pays où la femme est si abaissée, si soumise au pouvoir de l’homme, si peu autorisée à se mêler des choses de l’extérieur.
Toutes ces circonstances me donnaient fort à réfléchir. Halef, qui ne me quittait pas, sous prétexte de me protéger, me dit tout à coup, en interrompant sa rêverie :
« Sidi, l’as-tu vue ?
— Quoi donc ?
— La barbe.
— La barbe ? quelle barbe ?
— La barbe de la femme.
— Cette femme a de la barbe ?
— Oui ; son voile n’était pas double, j’ai vu à travers. Elle a de la barbe !
— Des moustaches ?
— Non, une barbe entière. Ce n’est point une femme, Sidi ! Si on prévenait le bachi ?
— Oui, mais de manière que personne ne t’entende. »
Halef partit comme un trait. Il ne pouvait s’être trompé, il avait de bons yeux ; et puis je me rappelai involontairement le derviche de la veille. Toutes ces circonstances devaient s’enchaîner l’une à l’autre. Je voyais à l’extrémité du sambouk mon petit factotum s’entretenir avec le bachi. Celui-ci remuait la tête et riait ; il semblait fort incrédule. Halef revint près de moi avec une mine allongée et mécontente.
« Sidi, ce bachi est si sot qu’il me prend pour une bête.
— Vraiment !
— Et toi, il te croit encore plus bête que moi !
— Ah !