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les pirates de la mer rouge

La chose me parut claire : on déchargeait tout simplement l’argent de l’impôt, et l’aumône des pauvres Arabes allait enrichir d’adroits fripons.

Je n’eus pas le temps de réfléchir sur ma découverte ; une voix retentit de la rive.

« Nous sommes trahis ! » disait cette voix.

En même temps j’entendis une détonation, une balle effleura mon épaule. La corde fut retirée à l’intérieur et la petite barque s’éloigna rapidement. Pour moi je grimpai à toutes jambes par l’échelle, afin de regagner le pont.

La porte de la cabine s’ouvrait, je pus voir alors d’étonnantes choses. Deux planches de ce pavillon avaient été enlevées du côté de la mer ; il n’y avait plus là de femmes, mais une dizaine d’hommes qui se jetèrent sur moi. Je n’avais point d’armes ; Halef se trouvait assailli par d’autres drôles. Je me débattais en vain. Des cris, des détonations, partis du rivage, arrivaient jusqu’à moi ; je reconnus, au milieu du tumulte, la voix de basse-taille du faux derviche qui commandait la troupe des brigands. Il criait :

« C’est le Nemsi ; liez-le, mais ne le tuez pas ! »

Six hommes vigoureux m’attachèrent avec des cordes ; pendant ce temps j’entendis encore un coup de feu, puis les plaintes de Halef, qui avait été blessé.

Mais bientôt, étourdi par les coups qu’on me déchargeait sur la tête, je perdis à peu près la perception de ce qui se passait. Il me semblait qu’on se battait tout près de moi, Je me sentis lier fortement les pieds ; on m’entraîna ; je perdis complètement connaissance.

Lorsque je revins à moi, j’éprouvai une vive douleur derrière la nuque ; je ne pouvais me rendre compte de ma situation. Les ténèbres m’environnaient ; où étais-je ? Enfin je compris, à un fort clapotement de l’eau, que je devais me trouver à fond de cale, et que le bâtiment filait avec vitesse. Mes membres étaient trop étroitement liés pour que je parvinsse à faire un seul mouvement. Heureusement mes liens n’entraient point dans les chairs, ils consistaient en étoffes et en linges tordus ; mais je courais grand risque de me voir dévorer tout vif par les rats, qui déjà venaient explorer ma triste personne.

Je commençais à m’inquiéter très fort d’une situation si critique, quand enfin quelqu’un descendit dans mon cachot, me débarrassa de mes liens, et me dit d’une voix rude :