Page:Meillet - Esquisse d'une grammaire comparée de l'arménien classique (1936).djvu/142

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ou bien encore chez Élisée, livre II, տասին՝ թէ այսու ամենայնիւ չկարացաք… « ils ont vu que par tout ceci ils ne pouvaient pas », littéralement : « ils ont vu, ainsi, par tout ceci nous n’avons pas pu…  » L’emploi de t‘e թե rappelle donc celui de skr. iti qui marque une incise ; la position des deux mots est seule différente. Ceci est plus clair encore dans le tour fréquent dont la phrase suivante d’Eznik fournit un exemple : փառք ոչ եթե անձնաւոր են, այլ… « la gloire n’est pas une personne, mais…  » : եթե annonce simplement ici ce qui est nié. Tel est le sens ancien de t‘e թե, et‘e եթե ; mais le sens de « que » s’est fixé et se rencontre dès les plus anciens textes. — Toutefois ce n’est pas de « que » qu’on peut passer au sens de « si » qu’a souvent t‘e թե, c’est du sens de « ainsi », de même que par exemple dans le lat. . On sait que les conjonctions qui introduisent les propositions conditionnelles diffèrent d’une langue indo-européenne à l’autre. Sur les emplois de t‘e թե, et‘e եթե, cf. H. Jensen, Caucasica VII (1931).

Dès les plus anciens textes, l’arménien présente un système de propositions subordonnées complet et varié, et la traduction des phrases grecques n’a présenté à ce point de vue aucune difficulté.

Remarque sur le § 106. — D’après les études récentes du R. P. N. Akinean (Élisée vardapet et son histoire de la guerre des arméniens, Vienne 1932, en arménien, avec, à la fin, un résumé en allemand), Élisée aurait écrit son Histoire de l’année 572 à la fin du VIe siècle ; la rédaction que nous en possédons aujourd’hui serait corrompue et paraîtrait être du VIIIe ou du IXe siècle. Quoiqu’il en soit de cette thèse, l’exemple plus haut allégué, tiré d’un passage où la langue est excellente, est représentatif de la valeur expressive qu’a, en arménien classique, la place des mots.