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aucune langue historiquement attestée ne les présente avec toute l’étendue qu’elles avaient en indo-européen. Le bouleversement du système des sonantes et les graves altérations des voyelles en rendaient la conservation impossible en arménien, et en effet on n’y en trouve plus que des traces isolées ; les alternances vocaliques de l’indo-européen, comme telles, ne jouent plus aucun rôle dans la morphologie arménienne.

La principale survivance est celle de l’élément prédésinentiel des thèmes en *-n (v. § 43) ; l’arménien a ici : génitif-datif sing. hars-in հարսին « de la fiancée », instr. sing. hars-am-b հարսամբ « avec la fiancée », nomin. plur. hars-un-k‘ հարսունք « fiancées », où l’alternance de iո-, -an-, -un- représente une alternance indo-européenne *-en-e/os (gr. -εν-ος), *-n̥-bhi (cf. skr. -a-bhiḥ au pluriel), *-on-es ou *-ōn-es (gr. ον-ες ou ων-ες cf. gr. φρήν, φρενός, φρασί, ἄφρονες (phrên, phrenos, phrasi, aphrones). En indo-européen, cette alternance faisait partie d’un système dont relevaient des mots de toute forme ; en arménien, c’est une particularité isolée de quelques thèmes en -n-. — L’alternance de o et de e qui existait dans le type thématique ne se reflète plus que par l’e de l’adverbe hete-w հետե–ւ– dans hetewim հետեւիմ « je suis », à côté de l’o généralisé de la flexion en -o- : het հետ « trace de pas », gén. hetoy հետոյ, instr. hetov հետով.

De même pour la racine, il arrive que l’arménien ait conservé deux ou même trois des types vocaliques de l’indo-européen, mais ce sont des survivances fortuites et isolées, et dans une partie des cas au moins, la parenté des deux mots n’est plus sentie : otn ոտն « pied », cf. gr. πόδα (poda), et het հետ « trace de pas », cf. skr. padám (et gr. πέδον (pedon)) appartiennent à une même racine indo-européenne, mais sont indépendants l’un de l’autre en arménien ; meṙanim մեռանիմ « je meurs » a le vocalisme e de v. sl. mrèti « mourir », mard մարգ « homme » le vocalisme sans e du skr. mr̥táḥ « mort », mais le sens de « mortel », qui est le sens premier de mard, n’est plus perceptible en arménien ; loys լոյս « lumière » a une diphtongue oy qui répond au eu de gr. λευϰός (leukos) « blanc » ou au ου de λοῦσσον (lousson) « point blanc du sapin », et lusn լուսն « tache blanche de l’œil », λεύϰωμα (leukôma), lsnanam լսնտնամ « je blanchis » (de *lusnanam), avec u issu de i.-e. *u, cf. gr. (ἀμφι-)λύϰη ((amphi-)lukê) « demi-jour », sont nettement séparés par le sens. L’alternance de e et o attestée par gr. φέρω : φόρος, φόρα (pherô : phoros, phora) ;