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une idée analogue en s’appuyant sur des faits cités par M. O. Keller (v. son Reallexikon, sous le mot Bär).

Et en effet on ne voit pas quelle autre cause aurait pu entraîner la disparition du mot.

Il n’y avait pas de cause linguistique : le mot indo-européen est un thème en -o-, donc d’un type courant en indo-européen et conservé partout ; c’est un thème dissyllabique et qui, par suite, n’était ni trop bref ni trop long pour se maintenir.

Il n’y avait pas non plus de cause extérieure : l’animal se rencontrait partout, et sur le domaine des Slaves, des Baltes et des Germains plus que partout ailleurs ; il n’affecte pas de formes très diverses appelant des noms très diversifiés ; et, au surplus, les noms nouveaux ne font pas allusion à des variétés différentes les unes des autres.

On est donc bien en présence d’un tabou ; et ce qui achève de le démontrer, c’est le fait, surprenant au premier abord, qu’un autre groupe de langues, le groupe finno-ougrien, n’a aucun mot commun pour désigner l’ours, et que les dénominations de cet animal bien connu de tous les peuples qui parlent ces langues y sont ou empruntées ou périphrastiques et analogues à celles du slave, du baltique et du germanique (d’après une communication de M. Gauthiot à la Société de linguistique de Paris, 24 mars 1906 ; communication suscitée par l’exposé des faits indo-européens qu’on vient de passer en revue).