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génération ; dans la mesure où elle est exacte, l’observation ne saurait guère se justifier que par les faits de ce genre ; car ces langues ne sont pas sujettes à des changements particulièrement rapides ; elles semblent même avoir une remarquable stabilité dans beaucoup de cas ; mais il peut arriver qu’un voyageur, à un second passage, trouve supprimés par des tabous beaucoup de mots qu’il s’était fait enseigner quelques années auparavant.

À date historique, cet usage est assez peu attesté chez les peuples de langue indo-européenne, ou du moins il affecte des formes nouvelles ; dans la langue polie on évite depuis longtemps les termes qui expriment proprement et précisément un certain nombre de fonctions naturelles ; l’influence de cet usage sur le vocabulaire est bien connue ; on sait par exemple comment le féminin de gars a disparu du français ordinaire parce qu’il était devenu le nom propre de la prostituée, et comment fille étant venu à être affecté à ce sens, on doit dire jeune fille là où l’on disait autrefois fille. On sait aussi comment les jurons ont été modifiés pour éviter les blasphèmes interdits et comment le français a morbleu, etc., etc., au lieu de mort Dieu, etc., et l’anglais gog, coeke, etc., au lieu de god.

Il est permis de supposer que, sous sa forme commune, l’usage du tabou a dû exister à date ancienne dans les populations de langue indo-européenne, et ce serait un moyen d’expliquer la perte de certains mots dont on ne s’explique pas aisément la disparition sur