Page:Mendès - La Légende du Parnasse contemporain, 1884.djvu/147

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Cette réserve, ce désir de n’être pas vu, ni entendu, vous les retrouverez dans les livres de Sully Prudhomme. Il est, sinon l’un des plus vastes, du moins l’un des plus délicats esprits du dix-neuvième siècle. Aucun fracas, aucune turbulence excessive, aucune contorsion grimaçante de désespoir. Il est, paisiblement, avec un dandysme serein qui rappelle celui d’Alfred de Vigny, le songeur subtil et raffiné, celui qui, troublé par l’étemel mystère de l’infini et de l’inconnu, — que cet infini, que cet inconnu se dérobe dans la profonde nature ou dans le cœur plus profond de la femme, — s’élance perpétuellement à la poursuite de l’insaisissable et parfois le saisit, veut exprimer l’inexprimable, et quelquefois l’exprime. Il existe encore quelques personnes, m’assure-t-on, qui, lorsqu’on leur parle de Sully Prudhomme, s’écrient, malgré sa gloire incontestée, malgré l’Académie elle-même : « Ah ! oui ! Sully Prudhomme, l’auteur du Vase brisé. » Elles ignorent donc que le Vase brisé, cet espèce de sonnet d’Arvers, n’est qu’une romance sentimentale, jolie, — qui dit le contraire ? — mais une romance ! Ils n’ont donc pas lu l’œuvre considérable, et qui s’ac-