Page:Mendès - La Légende du Parnasse contemporain, 1884.djvu/227

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faisions du feu alors, — les six mille vers qu’il m’avait apportés !

Je connais peu de poètes capables d’un tel auto-da-fé.

Dès lors, nous travaillâmes pendant les jours, pendant les soirs, avec acharnement, lisant les grands poètes, étudiant les rythmes, discutant les rimes, résolus, infatigables. Ce fut le temps d’une intimité profonde et charmante. C’est là que nos esprits et nos cœurs prirent la coutume de n’être jamais séparés, malgré les hasards de la vie. Nous ne nous quittions guère. Nous dînions l’un chez l’autre, lui dans ma famille, moi dans la sienne. Je me souviens des bons repas camarades au premier étage de la petite maison, passage de l’Élysée-des-Beaux-Arts, à Montmartre. La mère et la sœur de mon ami, accueillantes et douces, nous écoutaient parler de poésie et d’avenir ; et bien qu’elles m’aimassent à cause de ma tendresse pour Coppée, elles ne considéraient pas sans épouvante ce jeune homme sans autorité qui leur disait : Je vous jure que Francis sera un grand poète ! et qui venait détourner leur enfant de la vie obscure du travail paisible et quotidien, du