Page:Mendès - La Légende du Parnasse contemporain, 1884.djvu/51

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d’Horace, de diplomates ensevelis dans d’opulentes redingotes pareilles à des linceuls, de professeurs tournant le petit vers, de philosophes éclectiques, intimement liés avec Dieu, et de bas-bleus quinquagénaires rêvant tout bas, soit l’œillet de Clémence Isaure, soit l’opprobre d’un prix de vertu, un jeune homme pâle, amaigri et se boutonnant avec désespoir comme s’il eût collectionné dans sa poitrine tous les renards de Lacédémone, s’avançait hagard, s’adossait à la cheminée, et commençait d’une voix caverneuse la lecture d’un long poème où il était prouvé que le Ciel est une patrie et la terre un lieu d’exil, le tout en vers de douze ou quinze pieds ; ou bien encore, quelque vieillard chargé de crimes, usurier peut-être à ses heures, en tout cas ayant pignon sur rue, femme et maîtresse en ville, chantait les joies de la mansarde, les vingt ans, la misère heureuse, l’amour pur, le bouquet de violettes, le travail, Babet, Lisette, Frétillon, et finalement, tutoyait « le bon Dieu » et lui tapait sur le ventre dans des couplets genre Béranger.

Et alors triomphaient à la fois la tristesse et la gaieté française !

Nul ne s’était préoccupé d’examiner si ce qu’on venait d’entendre était écrit dans une langue seulement décente. Qu’importait cela, pourvu qu’on fût ému, et qu’on sentit battre les viscères sous la flanelle ? L’essentiel en poésie n’est-il pas de ressentir une émotion vraie, et quel plus bel éloge pourrait-on faire d’un poète, que celui-là : « Il fit pleurer les dames de son temps ! »

Le plus triste est que ces malheureux avaient souillé