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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/137

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MÉPHISTOPHÉLA

cœur le seul être qui la lui rendait chère. Mais, maintenant, si près d’accomplir la résolution fatale, si près d’être une morte, — car, peut-être, à peine couchée en travers des rails, entendrait-elle le train se précipiter avec des roulements de foudre et des crachats de cratères, — elle ne pouvait s’arracher à la caresse des heureux souvenirs ; elle revoyait la chère mignonne, si blonde et si jolie, et leurs courses à travers bois, et leurs jeux dans les jardins, et, dans le hamac de la maisonnette, leurs siestes de petit mari et de petite femme. Ce mot « mari », — car la rêverie profère en silence des mots entendus pourtant, il semble que l’esprit se parle à voix très basse, — aurait dû la troubler, l’irriter ; au contraire, un contentement lui venait parce que, dans ce mot, à l’idée de mariage, se mêlait l’idée d’Emmeline ; et rien, dès qu’Emmeline y mettait de sa grâce, ne pouvait plus être laid ni cruel, comme par la présence d’un ange l’enfer deviendrait paradis.

Sophie comprit qu’il lui serait impossible de mourir sans avoir vu Emmeline une dernière fois ; elle avait besoin d’emporter un peu de cette clarté dans le grand voyage sombre.

Oui, la voir.

À cette heure ? Comment ?