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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/183

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MÉPHISTOPHÉLA

la musique eût occupé leurs soirées. Elles songeaient, l’une avec épouvante, l’autre avec un désir, épouvante aussi, que cette heure où elles se retrouvaient chez elles, cette heure nocturne, où rien ne leur arriverait qui ne vint d’elles-mêmes, où elles dépendaient d’elles seules, pouvait être le moment où se préciserait, d’où se dirigerait leur destination éternelle. Elles avaient, en ces soirées, l’impression diversement mais aussi fortement ressentie par toutes deux, d’être tout près d’une espèce d’abîme, duquel, si elles y tombaient, elles ne remonteraient jamais plus. Dans cette pièce close, loin du bruit, loin de tout le monde, loin des dangers — et des secours, — quelque chose de décisif, d’irrémédiable pouvait être dit, ou être fait, et c’étaient en toutes les deux un vertige, en l’une, avec un instinct de fuir, en l’autre, avec un instinct de se précipiter. De là, ces longs silences et des rêveries qui ne se décidaient pas. Puis, Emmeline se levait, prenait l’une des lampes, disait : « j’ai bien sommeil », sans même essayer de sourire, s’en allait vers sa chambre ; Sophie se levait à son tour, la suivait jusqu’à la porte, dans le couloir. Tout ceci en des lenteurs, comme l’accomplissement d’un rite mystérieux, grâce auquel un dieu, ou un dé-