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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/222

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MÉPHISTOPHÉLA

de ce qu’elle entendait. Oh ! cette femme, — et les autres, dans l’autre wagon, qui devaient être pareilles. Emmeline était si pure, si douce, disait, d’un si clair accent, de si honnêtes paroles ! Quoi, des créatures comme celles-ci et Emmeline pouvaient exister en même temps ? Elle éprouvait quelque chose de ressemblant à la nausée d’un très jeune amoureux, un enfant, le cœur et l’esprit frais, qui, au retour d’un premier aveu aux genoux de sa cousine, entendrait un commis-voyageur raconter, avec de sales détails, les gourgandines à cent sous et les filles d’auberge qu’il a retroussées. Une honte aussi entrait en elle, celle de ne pas être tout à fait différente de ces filles. Elle avait beau se dire : « Elles n’aiment pas comme j’aime, » elle avait beau sentir en soi, pour son amie, tant de délicate tendresse et de dévote ferveur ; elle ne pouvait se cacher que, par la bouche qui veut la bouche, par le corps qui veut le corps, elles devaient lui être comparables ; hideuses, écœurantes, n’importe, c’étaient des espèces de sœurs qu’elle avait. Des sœurs ! À ce moment, l’odieux des étranges désirs, en elle, lui fût-il révélé par l’ignominie de leur réalisation en d’autres ? eut-elle peur du rêve qui était cela ? peut-être, par une de ces ouvertures vers l’avenir,