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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/228

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MÉPHISTOPHÉLA

sentait prisonnière de ce rien infrangible : la volonté d’un regard ; l’idée de lever les paupières lui était insupportable à cause de la peur de voir les yeux qui étaient sur elle. Puis elle eut l’impression d’un assombrissement successif, comme si, par secousses, du jour s’échappait d’autour d’elle ; chaque secousse était accompagnée d’un glissement, eût-on dit, d’anneaux sur une tringle ; et, tandis que s’épaississait l’ombre sous ses paupières, elle cessa de sentir le violent regard sur elle, soit que les yeux de Magalo se fussent détournés, soit que leur fixité s’émoussât à travers l’obscurité plus opaque. Mais, de nouveau, le regard la saisit, plus proche, plus insistant, plus enveloppant ; elle en était toute touchée ; elle croyait qu’elle n’avait plus de vêtements, tant sa peau était prise et serrée, à même, de ce regard ; et c’était si insoutenable qu’elle haletait. En même temps, depuis qu’une presque nuit s’était faite autour d’elle, elle était assaillie, cernée, couverte d’un double et bizarre parfum ; Magalo s’était-elle assise, tout près, sur la même banquette ? Sophie l’avait entendue se mouvoir, et l’arome émanait peut-être du regard rapproché. C’était comme si elle eût été vêtue de fleurs ayant des yeux. Mais ces fleurs n’avaient pas la simple odeur de celles