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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/256

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MÉPHISTOPHÉLA

— Convenez du moins, docteur, qu’ils cachent assez bien leurs souffrances ?

— Oui, ils les cachent les uns aux autres ; et ils essayent de se les cacher à soi-même ; c’est précisément de ne pas s’avouer, que redouble leur mal, qu’il s’exaspère jusqu’à la rage. Ah ! s’ils étaient chez eux, s’ils étaient seuls, devant le feu, sous la lampe, leur tourment s’alentirait peut-être dans la paix et dans le silence ; il y a dans la solitude d’invisibles mains douces aux pires blessures. Mais ils n’ont pas osé rester chez eux ! ils ont eu peur du pas-de-bruit où ils auraient entendu les voix intérieures, peur des miroirs où ils auraient vu leur image, de l’insomnie déserte, du sommeil aussi, peuplé de cauchemars ; et tous, hommes et femmes, ils sont venus ici, pour se distraire, les infortunés ! comme ils iront demain dans quelque autre fête. Mais le mal, acharné, les y suivra, comme il les a suivis ce soir, plus acerbe d’être remué, secoué. La bête qui les mord n’aime pas qu’on la fasse danser, et elle s’enrage à ne pas être laissée tranquille.

— Voyons, parlez-vous sérieusement, docteur ?

— Aussi sérieusement que possible.

— Vous croyez que les Parisiens, que les Parisiennes souffrent sous leur apparente belle humeur.